« S’évader un instant de ce monde, respirer à fond à ne rien penser, vider ses poumons et recommencer, c’est guérir du mal de la société… » – Descrea
Suite aux incessantes disputes que j’avais avec mon père, et mon énorme mal-être qui ne cessait d’augmenter, je ressentais le besoin de quitter cette maison grande maison en ruine. Cette maison où j’ai pris conscience de tout ce qui m’était arrivé depuis mon enfance, et du présent invivable que je subissais. Les fugues répétitives sont des troubles du comportement qui n’annoncent rien de bon. J’étais en quête d’oxygène dans une atmosphère que je jugeais irrespirable. Je fuyais aussi une réalité dans l’espoir de pouvoir faire changer les choses. J’espérais que mes fugues remueraient mes parents, afin qu’ils fassent des efforts pour mon confort de vie. Je partais souvent sur un coup de tête, ou alors je préméditais la fugue le soir pour le lendemain. Je préparais un sac avec des vêtements, de la nourriture, de l’eau, une couverture, et une tente. Je m’asseyais sur le bord d’une rivière et j’admirais le paysage. A chaque fois, je ne savais pas combien de temps je réussirais à tenir loin de la maison. Quelquefois, ce n’était que des heures, d’autres fois la moitié de la nuit, mais je revenais presque toujours par moi-même. J’avais quand même peur de réintégrer le foyer familial à cause des réprimandes. Je ne savais plus quoi faire, rentrer ou rester dehors. Mes parents m’accueillaient les bras ouverts en me disant qu’il était stupide de réagir de cette façon, que s’en aller ne résoudrait rien. Ils essayaient de comprendre les raisons de mon acte. Finalement, ils avaient peut-être raison. Les fugues sont aussi des appels au secours. J’étais coincée dans une solitude ancrée depuis toute petite, je n’ai toujours eu que mes parents sur lesquels je pouvais vraiment compter. Il m’a fallu des années avant de comprendre que je ne m’en sortirai pas seule. Et je devais être présente pour ma mère. Une mère qui buvait quand elle était accablée par la tristesse. Et même si elle essayait de cacher son addiction à l’alcool, je sentais cette douce odeur amer et sucrée dans son haleine. Elle venait de boire une bouteille d’alcool, laquelle je ne sais pas. Mais ce dont j’étais sure, c’était que cela s’était produit derrière mon dos. Elle pensait me protéger, mais elle faisait l’inverse. Je la prenais dans mes bras, et elle continuait de pleurer sur mon épaule avant de me dire avec un petit sourire : « T’en fais pas, ça va aller ». Mais ça recommençait. Il est facile de reconnaitre une personne qui a passé quelques heures à pleurer et à boire de l’alcool. Son visage était marqué par les larmes qui ont coulé sur ses joues, le maquillage n’était plus exactement en place, et l’odeur était marquante. Je n’avais pas à subir cela. Je fuyais tout ce qu’il y avait dans cette maison. Je ne me sentais plus en sécurité dans aucune pièce. Le temps passait, rien ne changeait. Je n’avais pas de lieu où me cacher, où me retrouver face à moi-même pour faire le point sur ce qu’il se passait dans cette maison de l’horreur. Alors, je prenais sur moi et je m’enfuyais plusieurs fois avec comme seul moyen de transport mon vélo. Ce qui limitait bien la chose, je ne sortais pas par un temps de pluie. J’attendais qu’il fasse beau ou du moins, une température agréable. Les fugues ont marqué mes parents qui se sont inquiétés par mon absence, mais ne se réconciliaient pas pour autant. C’est ce que je voulais leur faire ressentir ; cette peur et ce manque.
©Elly Clark