« Le monde de la réalité a ses limites ; le monde de l’imagination est sans frontières » – Jean-Jacques Rousseau
Médor était son nom. Enfin, celui que je lui avais donné lors de notre première rencontre. J’étais encore à l’école primaire quand il est venu avec son petit museau humide se frotter contre mes jambes. Remuant la queue de joie, je découvrais un animal qui m’aimait déjà autant que je l’ai aimé ensuite. Il ne fut pas le seul, d’autres sont arrivés mois après mois. Je me suis retrouvée avec sept chiens, tous de races, de tailles et de caractères complètement différents, mais adorablement beaux. Je les empêchais quand même de me suivre dans la salle de classe, de peur d’être distraite. Quels étaient ces chiens sortis de nul part? Je les voyais, je les sentais, je les touchais, je jouais avec eux, mais personne à part moi ne savait qu’ils existaient. Ils étaient simplement issus de mon imagination. Je vivais à cette époque des moments vraiment difficiles à l’école comme à la maison, et j’avais besoin d’eux. Chaque chien représentait une partie de ma personnalité, comme les sept nains dans Blanche Neige. Médor était le battant, le courageux, c’était un labrador couleur sable, qui me suivait partout où je me rendais. Les autres étaient un peu plus libres, je les croisais plusieurs fois dans la journée. Ces êtres résultant de ma créativité m’ont aidé à découvrir ma propre identité. J’apprenais à me connaitre en interagissant avec eux. J’ai toujours vécu des histoires extraordinaires avec eux, ils m’ont fait gouter à la vie. Ils ont toujours été présents quand j’en avais besoin. Ils sautaient les deux pattes en avant sur mon torse pour exprimer leur compassion. Et puis un jour à la campagne, Médor est venu vers moi, entouré de ses six compagnons, s’est assis et m’a regardé droit dans les yeux avant de me dire cette phrase que je n’ai pas encore oublié : « Il est temps pour nous de partir, tu sembles heureuse maintenant, et nous n’avons plus rien à faire pour t’aider. Il y a d’autres enfants sur Terre qui attendent notre venue. Nous sommes les gardiens de l’enfance. » Jamais, aucun des chiens n’avaient prononcé un seul mot durant tous ces mois. J’étais déconcertée. Sa voix était grave et roque comme s’il avait déjà vécu plusieurs millénaires. Je n’étais surement pas la seule et l’unique personne qu’ils avaient soutenue. Je comprenais enfin pourquoi ils étaient intervenus dans ma vie à cet instant précis. Je versa une larme, et je les ai observé s’en aller d’un pas élancés en direction d’un chemin. Je savais que je ne les reverrai jamais. En grandissant, l’enfant perd une partie des facultés qu’il possède à voir des choses imaginaires ou que les adultes croient inexistantes. Pourtant, je suis certaine que ces chiens ont existé. Ils rendaient, rien que par leur présence, le monde beaucoup plus coloré et plus facile à surmonter. Esprits bienveillants, ils étaient les sauveurs d’une enfance triste.
©Elly Clark