LA FEINTE

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« La feinte la mieux ourdie pourra duper le plus pénétrant des hommes, mais le plus borné des enfants ne s’y laissera jamais prendre. » – Léon Tolstoï

Simuler une émotion ou une sensation est plus facile pour certains que pour d’autres. En primaire, nous préparions et présentions des pièces de théâtre dans lesquelles j’obtenais le premier rôle. Très bonne actrice, je jouais la comédie à la perfection et ce, même au quotidien. Je faisais souvent semblant d’être malade pour ne pas assister au cours de la journée. Que ce soit des maux de ventre, des maux de tête, une grande fatigue, je trouvais à chaque fois une ruse différente pour quitter l’école. En classe, je posais ma tête sur mes bras feignant de ne plus avoir la force de la tenir, je frottais mes yeux jusqu’à ce qu’ils deviennent rouges, je mangeais très peu aux repas et j’affirmais que ma tête tournait. Tous ces symptômes me conduisaient à l’infirmerie où je me reposais avant que mes parents viennent me chercher. Lorsque l’infirmière venait me prendre la température, je profitais de son absence pour coller mon front sur le radiateur et attendre qu’il se réchauffe. A cette époque, le thermomètre était une petite bandelette noire de la taille d’une règle que l’on posait sur le front de l’enfant quelques secondes. J’arrivais ainsi à fabuler une température autour des 38°c. Il y avait des raisons à cette mascarade. Premièrement, je m’ennuyais en classe, je connaissais déjà les cours, et j’apprenais à une grande vitesse. J’étais en avance sur les autres élèves, et si mes parents avaient accepté, j’aurais même pu sauter une classe. Deuxièmement, je ne me sentais pas à l’aise dans l’établissement où je subissais des moqueries permanentes et des discriminations sur mes origines. Tout le monde savait que ma mère était polonaise, elle a le physique de l’Est et un accent qui ne passait pas inaperçu. Mais j’étais et je suis française. Je ne comprenais pas les personnes qui m’ordonnaient de retourner dans mon pays. Quel pays? J’étais née Paris, j’ai toujours vécu en France et je ne me voyais pas habiter ailleurs. Peut-être aussi que j’essayais d’attirer l’attention sur le fait que je me sentais forcée à côtoyer d’autres enfants, sans pour autant avoir des amis. Je ne supportais pas de passer des journées en collectivité. Je me sentais seule et exclue. Le seul endroit où j’étais libre de mes mouvements, et où je ne recevais aucun jugement était en présence de mes parents au bureau. Alors, je continuais à mentir dès que le mal-être et l’ennui n’étaient plus supportables, et je rejoignais cet endroit de paix et de calme.

©Elly Clark

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